Mise en bouche
Quoi?! Un article sur les supermarchés au Brésil? Il n'y aurait rien de plus intéressant à dire que de commenter les rayons de lessives des grandes surfaces?
Si, bien sûr, même après un an passé sur place, le Brésil regorge encore de trésors. Mais ce que je vais garder en mémoire en rentrant en France, ce sont aussi toutes les petites différences du quotidien. C'est tout un chapelet de petites surprises qui nous étonne la première fois et qui tend à devenir notre "normalité" avec le temps.
Après un an tout juste de vie au Brésil, je vais vous faire visiter un supermarché comme si j'y entrais pour la première fois...
On y va?
Allez! C'est parti! En voiture Simone! J'arrive sur le parking : comme en France, il faut prendre un ticket : rien n'est gratos. Comme en France, il faut être un furet pour trouver des place juste devant l'entrée du magasin ; comme en France, il y a des gros blaireaux qui squattent les places handicapées. Zigzag entre 2 caddies et me voilà garé.
Je prends mon caddie : comme en France, il a une roue qui tourne pas ; les autres sont peut-être pires, ça ira très bien pour aujourd'hui. Assez tourné autour du pot, on y rentre?
Hé! Ho! Poussez pas! Je vous sens pressés! (À ce moment vous regardez autour de vous, et vous vous rendez-compte, que vous êtes en Slow-Motion : les gens autours avancent au ralenti! Regardez cette dame là-bas : elle est en train de choisir des citrons : 1......2......bientôt le troisième....non finalement pas celui-là...
Et ce monsieur avec le caddie quasi-vide : record de lenteur, à ce rythme, il atteindra les caisses tout juste avant la fermeture de demain soir!)
C'est flagrant : en moyenne, je marche deux fois plus vite que les gens dans les rayons : mon caddie prend les virages à la corde, je traverse les rayons en regardant hâtivement si je n'oublie rien, alors que les gens se complaisent à passer une bonne partie de l'après-midi au rayons "Céréales".
Et même remarque dans la rue : en marchant à 6km/h, il faut faire attention à ne pas avoir d'accident avec les autres piétons! D'ailleurs, j'ai renoncé à marcher vite : c'est les gens me regardaient bizarrement (et avec la chaleur, cela fait suer beaucoup).
Bref, il faut rouler nonchalamment, doucement, pour essayer de se fondre dans le slow-motion ambiant.
C'est bon, vous êtes briefés, on peut entrer dans les rayons en toute sécurité!
Un peu de miel?
Le miel, c'est mon carburant du matin : direction le rayon "ptit dej"!
Mais là, déception : il y a souvent pénurie! Dommage parce qu'on trouve du très bon miel dans les campagnes, vendus au Kg ou au litre, fraîchement tiré de la ruche!
Ha!Si! Dans un coin de rayon "diététique" je trouve une petite bouteille de miel liquide. Pas de bol, c'était du miel à l'ail! Merci l'haleine matinale après 3 tartines!
Je me rabat sur le Nutella : c'est de l'importation, donc c'est cher, mais tant pis. Par contre, au lieu de trouver les pots de 400g ou 750g que l'on trouve en France, il faut se contenter de 180g! Le pot est ridiculement petit! C'est du Nutella au caviar?
J'aime expérimenter : j'ai pris du vrai Nutella et du faux, 2 fois moins cher. J'ai jetté le faux après 2 petits dej : pas seulement pour le gout, mais aussi pour ma santé : mon taux de graisse m'a demandé de ne plus jamais lui faire ce coup-là!
Plat principal
Direction le rayon "féculents" pour trouver du carburant pour sportif! Moi, je marche aux pâtes : à moi les Penne, Fusilli, Farfalle et autres Tortiglioni!
Mais là encore, il faut chercher : à droite, des Feijao ; à gauche : du riz blanc. Le tout en sacs de 1 à 25kg.
Et bien oui, au Brésil, la base de l'alimentation c'est le RIZ et le FEIJAO (ensemble, pour plus de légèreté). À tel point, que dans les petits boui-boui, la "carte" du restaurant propose de choisir une viande, ou un poisson, et on vous sert par défaut une grosse (c'est moi qui dit "grosse") portion de riz et de feijao. Avec un peu de chance, on vous sert aussi de la farofa (semoule de manioc frite = étouffe-chrétien par excllence).
Autre exemple : à la cantine du travail, la viande et les desserts changent tous les jours, mais l'accompagnement est éternel.
Au choix ou à combiner:
- Riz blanc
- Riz intégral
- Feijao Carioca (haricot noir)
- Feijao Paulista (haricot marron)
Et maintenant débrouille-toi!
En arrivant au Brésil, les haricots blancs (et tout ce qui s'apparente à la branche nutritionnelle des haricots-péteurs) faisaient partie des 2 trucs que j'évitais d'ingérer (avec la quenelle). Mais, survie oblige, je suis maintenant un mangeur assidu de feijao.
Bref, il y a bien des pâtes dans le rayon, mais il faut faire un peu de spéléo sous les sacs de feijao! Ouf!
Vitamines?
Maintenant que j'ai de quoi commencer la journée et tenir la longueur, il me faut un peu de vitamines pour le punch! Direction le rayon fruits et légumes!
Je ne peux pas trop vous faire le coup de l'éxotisme : l'Europe importe tellement de produits que les étalages de mon Auchan natal sont bien plus garnis que ceux de mon supermarché Brésilien!
Par contre, ici, l'ananas bien mûr se négocie moins de 1€ et le kilo de bananes moins de 0,5€. Et puis, il y a des petits bonus : les ananas sont "vraqués" sur une palette au-dessus de la laquelle une nuée de moucherons s'en donne à coeur-joie. Même chose chez les bananes : il y a de quoi attraper la dengue et le paludisme si vous lambinez pour choisir votre régime!
N'oubliez-pas de peser vos fruits! Enfin plutôt de donner vos fruits à peser : il y a un planton, assis derrière la balance, qui appui pour vous sur la touche correspondant à votre fruit. C'est un peu comme une balance automatique : vous posez, le gars sélectionne le produit et colle l'étiquette pour vous! Le Brésil est assez fan des petits boulots (des micro-boulots en fait) : pompiste, caissier (même s'il n'y a qu'un ou deux vendeurs), signalisateur sur autoroute (le gars qui agite un petit drapeau pour signaler qu'une voie est fermée à 500m : c'est un vrai!)...et nous allons encore en croiser quelques-un avant la fin de nos courses!
À la caisse
D'ailleurs, il commence à se faire tard, il faudrait penser à rentrer. Direction les caisses!
Bon, pas de surprise : on met tout sur le tapis de caisse, on paye par carte et on s'en va! C'est tout!
Haha! Non, je plaisance. La caisse, c'est le meilleur moment notre sortie!
D'abord, la caisse, il faut y arriver : entre la vitesse d'exécution des protagonistes qui vous devancent (dois-je vous rappeler que l'on est dans un monde en slow-motion?) et leur incurable propension à converser de rien avec tout le monde, je suis parti pour attaquer mon dîner sur place. Finalement, après un an d'études statistiques sur le temps d'attente en caisse, ma conclusion est la suivante : la quantité d'articles est un facteur quasi-négligeable devant le temps passé à discuter avec la caissière . Donc pour savoir si vous allez passer du temps en caisse, il faut arriver à deviner si les 3 personnes devant vous ont besoin de tchatcher avec la caissière.
Ho! Regardez! Il y un client de la caisse #12 qui a oublié de peser ses citrons. Il va vers le rayon "fruits" aller les peser et...il court!!! Incroyable! Piqué par un frelon? Il s'est emmêlé les tongues? J'en reste bouche bée : normalement, le gars qui oublie un truc se fait houspiller vertement par sa femme, mais cela ne l'empêche pas d'effectuer la commision avec une célérité gasteropodique.
Comme les autres brésiliens du magasins, je scrute le curieux couple dont l'homme a couru ; premier doute : ils n'ont pas des têtes typiques d'ici. Et en tendant l'oreille, je reconnais de l'anglais. Ha! Des "Gringos"! J'en était sûr! Il n'aurait pas pu en être autrement!
Le temps de vous raconter ça, c'est à mon tour! Je commence à déposer tous mes articles sur le petit tapis de caisse, mais la caissière m'arrête tout de suite :
"Monsieur, est-ce que vous pouvez essayer de tout poser devant moi? Le tapis ne marche pas."
Ça vous surprend? Moi pas : en un an et plusieurs supermarchés, je n'ai vu qu'une seule fois un tapis de caisse fonctionner. TOUTES les caisses sont foutues! Malheureusement je n'ai pas l'ombre d'un indice pour expliquer la contagion du phénomène. Par contre, ce qui me surprend, c'est que la caissière continue à prévenir les clients, un par un, que le tapis ne marche pas. Tout le monde le sait que ça n'avancera pas!
La caissière n'a vraiment pas un boulot cool : en plus d'avoir un tapis qui ne marche pas, son poste est monté à l'envers! Au lieu de faire passer les articles devant elle, elle doit se tourner complètement à droite pour prendre chaque article et la déposer complètement à sa gauche. Sympathique ergonomie du poste! Seul l'absurde peut expliquer l'absurde, alors voici mes explications (hypothétiques, évidemment) :
- Le manager est un sadique
- C'est une demande des caissières, pour travailler leur déhanché de Samba
- Tapis de Manufacture chinoise, monté par des brésiliens
- Le magasin devait être construit dans l'autre sens, mais finalement le parking était déjà fini du mauvais côté.
Je ne suis pas sûr de mon coup, mais je ne dois certainement pas être loin du compte!
(Une caissière, qui garde quand même le sourire!)
Ouf! Tous les articles sont passés! Les bananes ont donné quelques problèmes à la caissière : le "peseur" a collé toutes les étiquettes en les pliant pour fermer le sac : cela rend le code-barre impossible à lire. Et dire que le peseur fait ça à longueur de journée...
En France, avec les caisse automatiques, il y a 1 caissière de supervision pour 4 à 10 caisses automatiques. Aujourd'hui, à ma caisse, j'ai 3 personnes pour faire passer mes articles : 1 caissière et 2 "emballeuses" qui brassent des sacs plastiques. (Cela m'obligent à avoir une petite pensée pour tous ceux qui ont un bac+5 en Industrial Engineering, et qui utilisent des supercalculateurs pour conclure qu'en rapprochant le lecteur de carte bancaire de 15cm, on peut gagner 0,2 client par jour. Ne venez PAS -travailler- au Brésil : votre travail n'a aucun sens ici!)
Et le festival d'efficacité continue de plus belle : les deux emballeuses ne se fatiguent pas pour optimiser le contenu des sacs ; leur métier, c'est de mettre les articles dans les sacs, alors elles mettent les articles dans les sacs.
Résulat : j'ai 32 sacs dans mon caddie! 32 sacs plastique, pour...51 articles! Et je n'ai pas pris 51 pacs d'eau ou 51 rouleaux de PQ! 51 articles "normaux"!
Petits exemples de conversion "Sac / articles" au Brésil :
1 sac = 1 pizza = 2 petits paquets de gateaux = 1 déo + gel douche = 1 paquet de 500g de riz...etc.
Après la crise de nerf des Ingénieurs Industriels, voilà les écolos qui commencent à s'asphyxier...courage! On arrive au bout de nos peines!
Vers la sortie
Notre petit monde dûment remercié, je me dirige vers la sortie du magasin, mon caddie plein à craquer de sacs plastiques. (J'ai fais les courses pour 2 semaines, mais les sacs plastique me serviront de sacs poubelle pendant 6 mois).
Un vigile est posté à la sortie pour éviter les vols. Contrôle des articles de valeurs? Rasoirs, piles, électronique? Pas du tout : contrôle des pacs d'eau! Qu'est-ce qui est le plus dur à voler dans un supermarché : un pacs de 9Kg de flotte, qui rentre difficilement sous les tee-shirts! Mais non, ici, le vigile, il vérifie le produit le moins cher, le plus volumineux et le plus lourd...bref le seul truc que personne ne pense à voler!
Coup de bol, aujourd'hui ne j'ai pas eu de pulsions d'agua-cleptomanie!
Victoire! Nous voilà à la sortie du magasin!
Il ne reste plus qu'à décharger les courses dans le coffre et partir.
Ha oui, parce qu'ici, on n'a pas besoin de retourner déposer son caddie : on le laisse négligemment sur la parking et on se barre comme une fourbe fouine! Heureusement, les équipes d'Organisateurs Industriels ont TOUT prévu : il existe donc un poste de "collecteur de caddies", c'est-à-dire un gars qui court tout le parking pour récupérer les caddies et les mettre en files devant l'entrée. Héhé, pas bête! Il fallait juste y penser!
Par contre, en sortant du parking, il faut rester vigilant et piloter entre les caddies abandonnés (comme je l'ai fait en arrivant!).
Alors, depaysant ou pas cette sortie?
Comme je le disais plus haut, le Brésil utilise énormément de "micro-boulots" qui permettent de mettre beaucoup de monde à l'ouvrage, même avec une efficacité divisée d'autant. Je ne sais pas si c'est une politique qui vise à diminuer le taux de chômage, quitte à précariser le travail à l'extrême. Et puis, un travail dont vous ne percevez qu'à peine l'utilité est dénué de tout sens.
Cette différence est d'autant plus criante que la tendance européenne est d'augmenter l'efficacité et le niveau général des postes pour en diminuer la quantité.
Si le Brésil a une autre manière d'organiser le travail, sa consommation prend la voie des mêmes travers que dans tous les pays en transition économique rapide :
. La culture de la consommation "kleenex" est particulièrement vraie (autant pour les caddies qu'on laisse à l'abandon, que pour les sacs plastiques). Les magasins de chinoiseries en plastique font fureur, les bâtiments se construisent aussi rapidement que possible, et paraissent déjà usés et bourrés de défauts au bout de 6 mois...
. Une grosse partie de la consommation repose sur le crédit. Tout s'achète à crédit : les machines à laver, les voitures, évidemment ; mais surtout les vêtements, les chaussures en 6 ou dix fois, les bijoux...Parfois à partir de 10R$ (4€), il est possible de payer à crédit! Votre GPS à 260R$ (100€), vous le payez en douze mensualités de 26R$ (10€) : à ce prix-là, tout devient tentant! La croissance et l'inflation aident à alimenter le crédit, mais si la tendance s'inverse...
. Le Brésil ne souffre pas tant de la malbouffe, mais les spécialités ne sont simplement pas diététiques dans les proportions où elles sont consommées. Peut-être que les premières générations qui ont accès à la grande consommation ont besoin de satiété, mais en attendant, 50% de la population brésilienne est en sur-poids, et le chiffre est en augmentation rapide depuis 10 ans! Pas vraiment étonnant : à la fin de chacun de mes repas, je me dis : "trop gras, trop sucré, trop salé"? C'est bon, j'ai fait les trois!
Taxer la consommation brésilienne d'immature serait inexacte : inégale serait plus approprié. La croissance économique rapide du pays a creusé les écarts entre les très riches et la classe très moyenne. Le pays prend la voie d'un pays scindé entre "riches, puissants et bien-portants" et la classe moyenne peinant à équilibrer son budget, sa santé et sa consommation. Mais il reste encore de nombreuses opportunités de faire mentir la tendance ; le Brésil est plein de ressources cérébrales pour relever le défi.
Bonus : l'histoire du chausse-pied
Un j'en ai eu marre de m'exploser les pouces en enfilant mes chaussures de sécurité tous les matins, il me fallait un chausse-pied. J'ai commencé par jeter un coup d'oeil dans mon supermarché préféré, mais impossible de mettre la main dessus. J'ai ensuite été dans des petits bazars de chinoiserie, mais sans plus de succès. J'ai fini par aller dans les magasins de chaussure, pour demander aux vendeurs : impossible de trouver le moindre chausse-pied à Resende!
Après je me suis souvenu que la chaussure la plus vendue ici, c'est la tongue de plage. Échec.
Bonus#2 : mon hypothèse sur les tapis de caisse
Maintenant que j'y pense (fort), j'ai mon hypothèse sur les tapis de caisse qui ne fonctionnent pas :
1) C'est une conspiration de caissières : ça demande moins d'effort de demander au client de tout apporter, que d'appuyer sur la pédale pour faire avancer le tapis.
2) Vu que les caisses sont montées à l'envers, les tapis sont probablement câblés à l'envers : si la caissière l'active, le tapis repartirait en arrière!
PS : De la rapidité Brésilienne
Après avoir caricaturé la lenteur brésilienne, je me devais d'apporter un petit élément de compensation : sur ma vingtaine de proches collègues de travail, deux d'entre eux ont déjà fait des chrono de moins de 36min au 10km. Ce qui n'est pas "LENT".