2012.09.09 - Rando VTT dans la pampa (Bananal)

Samedi soir, 22h : je laisse derrière moi une grosse semaine de travail, samedi compris. Il me reste tout de même le dimanche pour me reposer, et la journée de demain s'annonce ensoleillée. Mais après avoir passé ma semaine sous les néons, à piétiner autour de ma machine, je n'ai qu'une seule envie : lâcher les chevaux et partir à l'aventure!

La semaine dernière, j'ai ouvert une brêche au Sud de Resende, en poussant jusqu'à Formoso. La boucle avait duré 4h, pour environ 70-75km. Ce que je voudrais faire demain, c'est une vraie randonnée à VTT : partir 6-7h et faire une grosse centaine de kilomètres sur les pistes pour pousser l'exploration de la zone.
Je lance Google Earth et commence à explorer les vues satellites : les pistes ne sont pas répertoriées, il faut les suivre de bout en bout pour savoir où elles vont, si elles débouchent, et si elles sont encore utilisables. Il faut aussi distinguer les chemins qui semblent privés, les voie d'accès aux élevages et les nombreux chemins de bovins qui se perdent en dédales entre les colines.

Le défi du jour, c'est de trouver un chemin entre Bananal et Resende, sans revenir sur mes pas. Je trouve quelque chose qui me semble carrossable à VTT, mais le pari est risqué : la zone à traverser ne coupe aucune route mais est parsemée de pistes, dont certaines ne semblent pas déboucher...
Je n'utilise pas de carte, je n'imprime pas les vues satellites : je note mon parcours en notant toutes les intersections, les directions cardinales et les points de passage notables. Avantage : c'est synthétique : je fais tenir un parcours inconnu de 70km sur un demi-A4. Risque : si je me trompe, je suis perdu. Voilà à quoi ressemble ma carte de demain :

Le (bon) plan
Un plan écrit comme ça, ça s'annonce forcément bien!


Le début du parcours n'est pas palpitant parce que parfaitement connu, j'en profite pour me défouler de la semaine en moulinant tranquilement et en profitant des descentes.

Premiers kilomètres

Dimanche cristallin
Pas un nuage dans le ciel, pas une voiture sur la piste : un début de journée idéal pour rouler


Petite nouveauté pour cette sortie : je teste ma camera GoPro, montée sur mon casque. L'orientation et la fixation ne sont pas optimaux, mais j'en tire déjà quelques photos prises dans l'action.

Premier Test GoPro
Bienvenue dans le poste de pilotage!

Jusqu'à Formoso, le chemin est connu, c'est de la promenade de santé! Il fait beau, chaud, pas un nuage dans le ciel : le temps est parfait!

Seul bémol : en arrivant à Formoso, je réalise que j'ai oublié de prendre un peu d'argent avec moi. Malgré mes 2,5L d'eau, je serai à sec autour du cinquantièeme kilomètres (d'ici 1h30), il va donc falloir que je trouve un moyen de faire le plein : fontaines ou point d'eau, je trouverai bien...
Après Formoso, ça monte sec : sous le soleil brûlant, j'ai beau essayer de m'économiser, monter requiert une débauche d'énergie.

À fond dans les collines

En changeant de vallée, il y a la fameuse descente découverte la semaine dernière : une pente régulière, des courbes agréables...plusieurs minutes de plaisir intense. Mais après 100m à peine de descente, je pile devant un troupeau de vaches allongées en travers du chemin. Pas de mouvement à mon approche : les bovins sont toujours impressionnants. En troupeau, je redoute toujours un mouvement de peur, ou de protection des jeunes veaux. Je pèse moins de 85Kg avec mon vélo, une brindille à côté d'eux!

Finalement, en avançant lentement et sans jamais reculer, les vaches se lèvent une par une devant moi et me laissent passer. Le gros du troupeau est maintenant derrière moi, mais une vache fait un pas agressif vers moi et me fait face, alors que toutes les autres s'écartent. Malheureusement, la vache qui s'avance a de belles cornes et ...pas de mamelles. Je garde mon vélo entre le taureau et moi, et tente de ne surtout pas faire de geste brusque. Au beau milieu de la pampa, la priorité est de ne pas prendre de risques...

Alerte bovins!
1:Arrêt d'urgence en pleine descente!
2:les vaches n'ont pas l'air décidées à me céder le passage
3:Elle a pas l'air commode celle qui me fait face!
4:La vache avec les cornes, elle ressemble plutôt à un monsieur...

Une fois le troupeau passé, je relâche les freins et pars à fond dans la descente. Puis vient un long tronçon de piste et la route SP068, que je suis jusqu'à Bananal. A bananal, j'ai déjà roulé 3h30, et je n'ai fait qu'un peu plus de la moitié du parcours. Je suis au plus loin de Resende, il faut maintenant revenir. Mais il faut surtout que je fasse une pause à l'ombre. La route de Bananal est vallonée, le soleil tropical au zenith m'a séché. Je me trouve un petit bout d'ombre pour grignoter des gateaux, des raisins secs et boire. J'ai les cuisses qui fourmillent : ce n'est pas très bon signe, ça veut dire que j'ai déjà attaqué les réserves d'énergie. Le retour va être épique!

SP068 : le retour
Tronçon de route entre Arapei et Bananal

Retour sur la piste
À Bananal, je quitte la route pour la piste, que je ne devrais plus quitter jusqu'à resende : Poussière et Chaleur!

Pause à Bananal
Quelques minutes de repos à l'ombre après avoir passé Bananal

Je passe un coup de fil à un collègue, pour qu'il me rapporte un truc de Rio. En raccrochant, je me sens bizarre, comme rassuré d'avoir parlé à quelqu'un, comme si j'avais eu besoin de dire où j'étais. Ça ne m'est presque jamais arrivé parce que je préfère rester dans mon aventure de bout en bout. peut-être ai-je un peu d'apréhension avant de commencer ce nouveau parcours tortueux en pleine brousse? A peine 20min de pause et je repars. L'aventure est devant, je le sens!

Depuis Bananal, je suis beaucoup plus isolé : les baraques au bord de la piste sont rudimentaires, les champs sont vides. Il y a encore beaucoup trop de verdure pour dire que je suis dans un désert, mais cette piste poussiéreuse écrasée par le soleil, l'herbe sèche qui recouvre les colines jusqu'à l'horizon, et l'absence du moindre signe de vie...le décors entier souligne l'isolement du lieu.
J'enchaine les kilomètres et j'ai un affreux doute sur ma direction : je pédale sans aucune certitude d'être sur le bon chemin. Je suis rassuré en arrivant dans un povoado (lieu-dit) que je reconnais sans hésitation depuis les vues satellites : un étrange bassin rond trône au milieu d'un bout de jardin bien entretenu. Une immense maison donne au lieu l'air d'une ancienne demeure, avec ses écuries au bout de la cour et les maisons d'employés alignées sur le côté. Mais encore une fois, pas un signe de vie pour demander de l'eau. D'après mes souvenirs, cela pourrait être le dernier "village" avant Resende. Je trouverai bien quelque chose...Et puis je viens de trouver mon itinéraire en descendant vers le sud. En route!

La route serpente entre les collines, change souvent de direction : j'ai du mal à m'orienter pour savoir si je vais dans la bonne direction. Pédaler dans le doute, c'est pédaler deux fois : deux coups de pédales en avant avec les jambes, un coup en arrière dans la tête. Et toujours pas la moindre intersection pour me repérer ; si je ne suis pas dans la bonne direction, je paierai 15km d'erreur. Lorsqu'enfin je tombe sur un embranchement de piste, les nouvelles ne sont pas meilleures : un tracteur est planté au milieu de la piste : fin de la route? Il semble que la piste contninue tout de même juste après. Malheureusement, après 500m et un barbelé, je tombe dans un champ ouvert, sans aucune piste en vue...et tout autour : des collines herbeuses, sans le moindre signe de vie, même pas une bouse de vache ou un semblant de chemin : je suis nulle part. Et je commence à avoir terriblement soif.

Fin de la piste?
Pour le tracteur, le chemin s'arrête ici ; pour moi, ça continue!

Il faut faire demi-tour jusqu'à l'intersection du tracteur : mais je n'ai plus la force de remonter le vélo dans la côte, je pousse le vélo à pied. Épuisé et perdu au milieu de nulle part, joli tableau!
À l'intersection, je me rends compte que je n'avais pas suivi les indications de mon parcours : j'ai pris à gauche alors qu'il était bien écrit d'aller à droite! Erreur d'inattention?
À droite, le chemin me semble douteux : la piste herbeuse et la barrière fermée ressemblent à un accès privé. Je continue tout de même et finalement il me semble être dans la bonne direction.

La piste devient de plus en plus sauvage : personne n'est venu ici depuis des semaines! Un vrai bonheur à VTT! Aurais-je découvert une ancienne piste abandonnée?
Il semble bien à en croire les plantes qui commencent carrément à pousser au milieu de la piste. Je ne profite qu'à moitié du plaisir de rouler : à sec depuis 15km, je me force à rouler la bouche fermée, comme je le faisais pendant la traversée d'Espagne, pour ne pas me désécher la gorge.

Au bout d'une descente à couvert des arbres, je débouche au soleil, sur un par-terre d'herbe. Le voilà, le bout du chemin, bien en lumière comme le point d'orgue du spectacle : un ruisseau presque à sec dans un fossé de 3m et un pont éffondré en plein milieu.

Pont effondré
Il reste des options...mais il faut choisir les bonnes.

Je descends de vélo pour regarder comment je peux continuer mon chemin : les bords du ruisseaux sont trop à pic pour y descendre avec mon vélo. Il faudrait que j'y saute, ou que je m'y laisse glisser. Mais je n'ai aucune chance de remonter si la piste est bouchée plus loin ou si je me suis trompé d'itinéraire. Plus en aval, le fossé est encore plus profond, la piste obstruée par la végétation et un ancien barbelé. En aval : le ruisseau se perd dans la végétation, impossible d'y passer avec un vélo.

Pire : même sans mon vélo, je ne peux pas descendre dans le ruisseau pour m'abreuver : jamais je n'arriverai à remonter. Je m'accorde quelques minutes de calme pour évaluer ma situation :
- le chemin est obstrué. il y a trop de risques à essayer de passer
- j'ai soif, mal à la tête et le soleil va encore taper pendant de longues heures
- je suis exténué, sans réserves de nourriture. En ce moment même, je piétine pour ne pas garder les jambes immobiles : mes muscles endoloris me font mal.

Première priorité : trouver de l'eau, coûte que coûte. Deuxième : trouver une solution de replis.
Je reviens sur mes pas, en guettant l'apparition du ruisseau de part et d'autre de la piste. Lorsque je le trouve un filet sur la côté de la piste, je me souviens que toute la région est un paturage de vaches, et que l'eau des pâturages bovins est riche en cochoneries. Je devrais avoir des pilules de desinfection de l'eau dans ma trousse de survie. Mais aujourd'hui la chance ne me sourit pas : pas de pilules dans ma trousse, ni dans mon kit de premiers secours. IMPOSSIBLE!
Je n'ai plus vraiment le choix : il faudra au moins que j'arrive à Bananal, 20km en arrière pour me réorienter ; sans eau, je n'y arriverai pas. Je me résouds donc à boire au ruisseau. Je repars avec un litre d'eau dans l'estomac -je me suis retenu d'en boire plus-. J'aimerai appeler Jon pour qu'il me dise si je peux emprunter un autre chemin pour revenir à la maison, mais je n'ai toujours pas de réseau.
Je me traîne en arrière sur plusieurs kilomètres, tantôt sur la selle, tantôt à côté, jusqu'à une trace de réseau. Malheureusement, je suis tellement enfoncé dans les colines que je n'arrive pas à guider Jon sur GoogleMap. Je continue vers Bananal et le rapelle 40min plus tard : je n'arriverai pas à dépasser Bananal, il faut qu'il vienne me chercher.

Lorsque Jon me récupère au village de Bananal, je suis allongé sur le trottoir depuis 30min. Je n'ai pas froid, mais je n'arrive pas à calmer ma respiration, ni à me tenir assis. Mes muscles me font mal, mon cerveau semble patauger dans une gadoue qui m'empêche de réfléchir. Jon me remet sur pied, embarque mon vélo en voiture et me ramène, 1h30 plus tard, à Resende.

Sur le chemin de l'abandon
Il ne me restait plus beaucoup de force, mais encore l'envie de profiter du spectacle.

Conclusion

Prêt pour l'aventure? Pas vraiment... À force de faire des "petites sorties pépères", j'en oublie les risques lorsque je méloigne un peu plus du bord. Même remarque pour la préparation : pas d'argent? Pas de pilules desinfectantes? Cela ne pose aucun soucis pour une sortie de 50 ou 80 km. Mais 100km ou plus en solo dans cette région, cela exige des vérifications que j'avais omises.
Mauvais choix? Pas tant que ça. Après vérifications sur GoogleMaps, j'étais sur la bonne voie, à 7km d'un circuit connu (le pont était bien en place en Février 2010). La mauvaise e attitude c'était de ne pas s'alarmer plus tôt du manque d'eau.
Fatigue? Sans aucun doute. Je savais que j'étais dans une période où je n'étais pas au top. Si j'avais pu continuer, je serai arrivé au terme de ma boucle dans un état d'épuisement assez avancé.
L'histoire ne se termine pas si mal que ça, Jon et moi avons fêté mon sauvetage autour d'un buffet pizzas à volonté.

Abandon...pour de bon?
Chuuuut! C'est un secret, mais maintenant que je sais que j'étais sur le bon chemin, je projette effectivement de conclure ce que j'ai commencé aujourd'hui. Comment passer le pont? Je ne sais pas encore, mais en bonne condition, un ravin de 3m ne doit être infranchissable...Revanche à suivre.

Bonus Quelques photos de la sortie, certaines prises avec la GoPro sur le casque :

Route SP068

Dans les collines

Pas un brin d'ombre!

Toujours dans les collines

Et toujours pas d'ombre...

Sortie de Formoso

Passage du col, après Formoso

Changement de vallée

Encore de la Piste, après Maximo

Entre Maximo et Arapei

Tout nu à vélo?

Sur la route d'Arapei

Point Navigation (et recoiffage?) à Arapei

Arapei

C'est par où?

Vers Bananal

Ghost Riding dans les virages

Vue sur la Bocaina

Vers Bananal