On m'avait prévenu : les cataractes d'Iguaçu sont un incontournable du Brésil. Du coup, j'appréhendais un peu :
1) D'être déçu de faire autant de chemin (1100km) pour voir des chutes d'eau.
2) De venir voir un site naturel au milieu de milliers de touristes venus voir la même chose. Une vue au sommet d'une montagne est formidable lorsqu'on l'a gravie, et serait différent après une ascension en ascenseur ; un coucher de soleil sur la plage s'apprécie dans le calme des vagues et dans le bruissement du vent, il perd de sa magie si la plage est bondée de touristes.
Faisant confiance aux conseils de Jon et à la curiosité de Judy, nous décollons de Sao Paulo pour Iguaçu (côté Brésilien).
Décollage de Sao Paulo
Sao Paulo
Dans Matrix, ils nous avaient dis que le monde réel était ainsi.
En survolant vers le sud
La forêt vierge à perte de vue
"Escusez-moi, puis-je vous emprunter un parachute?"
Plouf
Vue d'avion du "Trou" Iguaçu.
Iguaçu Pionnier
Le survol de la forêt vierge avant d'atteindre Iguaçu replace le contexte géographique du lieu : on a à près d'un millier de kilomètres de la côte atlantique et 400 ans après sa découverte, le lieu parait toujours vierge de toute civilisation. Vierge, la région l'est en apparence seulement, puisque située à la frontière entre 3 pays (Brésil, Argentine et Paraguay), c'est un lieu de passage. Mais tout donne l'impression d'être dans une ville frontière des pionniers de l'Ouest américain : les villes écrasées par le soleil et désertées pendant les heures chaudes, les longues routes au milieu de la poussière, les postes frontières d'un autre temps où l'on y tamponnent les visas comme des timbres postaux.
Pour le fun, nous sommes allé au point symbolique de la triple frontière, là où le Brésil, le Paraguay et l'Argentine se partagent des bouts de jungle.
Triple Frontière
Le fleuve Iguaçu (à droite) se jette dans le fleuve Parana.
Où suis-je?
Heureusement que les drapeaux sont là pour séparer la jungle de la jungle, et l'eau des fleuves.
Iguaçu Sauvage
Vu d'avion, Iguaçu est perdu au milieu de la jungle ; mais qu'en est-il de l'îlot touristique qui enveloppe les chutes?
Et bien, touristique ou pas, les chutes restent une zone de forêt sauvage ; en atteste la faune grouillante qu'il est possible de croiser sur les chemins du parc naturel (aussi bien côté argentin que brésilien).
En plus des rapaces, des papillons, des araignées costaudes, des énormes poissons-chats, des geckos, nous avons croisé ces quelques bestioles :
Papillon
Familles de Coatis
Caïman
À ce moment, on était en train de traverser le fleuve à quelques mètres (sur une plate-forme, heureusement pour nos tongues).
Iguane
Pas du tout pertubé par notre présence...
Iguaçu grandiose
Ça y est, nous allons aux chutes! Après quelques détours dans Foz d'Iguaçu (la ville côté brésilien), un petit quart d'heure de bus, l'achat des tickets, un autre car dans le parc naturel : nous y sommes pour de bon! Nous décidons d'attaquer le chemin des chutes par le bas.
Pour l'instant, rien de bien impressionnant : la route du parc naturel est une tranchée dans la jungle, mais je ne suis pas dépaysé de la Mata Atlantica (Jungle de la zone littoral) qui entoure Resende. Pourtant, en entamant le chemin vers le bord de la falaise, je suis tendu, comme si j'allais me retrouver face à une puissance incontrôlable, face à une vague monstrueuse ; peut-être est-ce le grondement sourd qui emplit subrepticement l'air.Je sens que Judy me serre la main : on y va!
Première vue à Iguaçu : la nature à l'état pur
Iguaçu millénaire
Après 2h passées à déambuler dans un sens, puis dans l'autre, nous sommes totalement fascinés.
Chaque détail du décors a sa place, chaque recoin de chaque pierre est poli par des millénaires d'abrasion, chaque goutte trouve son courant, et chaque courant a son canal. Ce décors, cette fresque de la Terre, immuable dans son mouvement, a traversé les âges.
Mais ce tableau, aussi immuable qu'il soit, est animé depuis sa création par la chute perpétuelle du fleuve et par un millier d'autres détails : l'élégance des gouttelettes virevoltantes, les jeu de lumière dans les éclaboussures, les herbes scintillantes soufflées, la pierre stoïque sous le martèlement continu ...et ce bruit, ce vrombissement continu qui dispense la contemplation de tout commentaire.
Iguaçu exploré
Pour gouter toute la magie du site, il faut le découvrir ; il faut l'explorer avec les yeux des premiers pères jésuites, avec les yeux des conquistadors qui remontent le fleuve. Il faut avoir abordé le continent par la plage, il faut traversé la jungle Atlantique, il faut avoir écouté le bruissement assourdissement de la forêt, il faut avoir pagayé des kilomètres sur des fleuves rouges vifs de la terre qu'ils charrient, il faut avoir été frôlé par des caïmans, survolé par des rapaces inconnus, observé par des serpents, envahi par des fourmis, piqué par les moustiques.
Plus loin encore, il faut être un éclaireur Guarani, il faut avoir encore pagayé jusqu'au bout du Monde, jusqu'au moment où, par un ciel clair, il vous aura semblé avoir entendu l'orage ; un orage qui se rapprocherait à chaque coup de pagaie dans l'invisibilité la plus totale. Et vous, l'oreille assaillie de toute part par la multitude grouillante de la jungle, par la moiteur irrespirable de la rivière, c'est écrasé par ce grondement terrible que vous apercevez cette cathédrale d'eau s'effondrer continuellement dans un fracas effroyable, noyé dans la lumière.
Sur un bras des cataractes
Noyé dans la forêt
100m avant les cataractes, sur le fleuve Iguaçu
Le son est imperceptible, l'eau est calme
Au milieu : un trou de 90m -invisible-
A garganta do diablo (La Gorge du Diable)
Noyé dans la forêt
Iguaçu : merveille de la Terre
Iguaçu intemporel
Combien de temps sommes-nous restés obnubilés et assourdis par le torrent de la Gorge du Diable? Ce mouvement de chute tantôt gracieux et lent, tantôt lourd et fracassant semble absorber toute chose : l'eau, les sons, les pensées. Au bord de la gorge, c'est la vie entière qui parait glisser dans un vortex destructeur pour réapparaître 100 mètres plus bas, apaisée et claire, prête à entamer un nouveau voyage.
Chaque goutte d'eau s'écoule à travers les continents et rejoint la mer, s'évapore, voyage dans l'atmosphère, retombe sur les montagnes, s'écoule dans les fleuves...jusqu'au moment où elle est absorbée par un courant qui la précipite dans une chute vertigineuse et la fracasse sur la roche. Tout ce joyeux vacarme, cette abondance grouillante, c'est le cycle perpétuel de la vie dans toute son inimaginable puissance. Comment pourrait-on s'imaginer un million de litres d'eau qui dégringolent chaque seconde?
Iguaçu : merveille de la Terre
Iguazu (Vu depuis le côté Argentin)
(Pour profiter du panorama, utiliser les flêches)